LUCE Maximilien, 1858-1941 “Le Port de Saint Tropez”, 1893
1 164 000€

LUCE Maximilien, 1858-1941

Le port de Saint-Tropez, 1893
huile sur toile, signée et datée en bas à droite, annotée au crayon noir sur le châssis : Saint-Tropez (le port), porte en bas à gauche une étiquette avec le n°20 – 73×92 cm

Un certificat de Mme Denise Bazetoux sera remis à l’acquéreur

PROVENANCE : Acquis avant 1900 auprès de l’artiste et resté dans la famille depuis.

 

LUCE Maximilien, 1858-1941

Issu d’une famille modeste, Maximilien Luce débute son apprentissage chez un graveur. Par la suite, il fréquentera l’Académie Suisse et l’atelier du peintre Carolus Duran. Il découvre la Bretagne lors de son service militaire, et y retournera régulièrement par la suite, notamment à Camaret.

Le premier salon des artistes indépendants ouvre ses portes le 15 mai 1884. Félix Fénéon y découvre Une baignade de Seurat, ainsi que des oeuvres de Signac. Un groupe apparaît alors aux yeux du public et de la critique sous des dénominations diverses telles que divisionnistes, pointillistes, mosaïstes, etc. Il est principalement composé des peintres Seurat, Signac, Cross, Camille Pissarro et Van Rysselberghe. Ils seront unis jusqu’au bout, et même si certains d’entre eux délaissent peu à peu la représentation pointilliste, les amitiés perdurent. Signac et Luce seront d’ailleurs chargés, lors de la mort de Seurat en 1891, de faire l’inventaire de son atelier à la demande de sa femme. L’année suivante, Signac invite Luce dans le Midi, premier séjour d’une longue série. Pissarro l’accueillera souvent à Éragny dans sa propriété. Il voyagera aussi avec Cross et Van Rysselberghe. Enfin, Luce sera très proche de Félix Fénéon, journaliste et principal théoricien du post-impressionnisme, qui a fait le premier l’éloge de cette “nouvelle école”.

Le néo-impressionnisme, picturalement parlant, opère un retour à la ligne, au dessin et à des compositions construites, au sein desquelles s’organisent une multitude vibrante de touches de couleur pure. Luce est aussitôt conquis par ce nouveau mouvement, qu’il découvre lors de l’exposition de 1884. Il adhère à la Société des Artistes Indépendants en 1887 et expose cette année-là sept oeuvres dont cinq paysages. Maximilien Luce restera fidèle à cette association d’artistes durant toute sa vie, jusqu’à en devenir président en 1935.

En 1892, Luce effectue un séjour à Londres, durant lequel il réalise de nombreuses vues de la Tamise et du Parlement. À l’arrivée de l’été, il est invité par son ami Signac à Saint-Tropez. Ce séjour marque fortement le peintre qui découvre la lumière du Midi, et par là même une nouvelle facette de sa palette, plus violente, plus lumineuse et aux couleurs renouvelées. À dater de ce séjour, il retournera régulièrement peindre dans le Sud, profiter de la luminosité unique de cette région.

L’oeuvre qui nous occupe ici est une des toiles peintes durant l’été 1892 chez son ami Signac. Elle représente le port de Saint-Tropez animé, plus précisément le quai de Suffren. La composition est centrée sur un voilier apponté à la coque rouge et aux voiles d’un blanc lumineux. La perspective est donnée par les grandes diagonales des bords du quai et des habitations sur le côté droit. L’artiste a ménagé un premier plan assez simple, animé de quelques figures, dont la plus proche, un marin, permet de créer une entrée dans la composition, un lien entre le spectateur et la toile. Les mâtures des voiliers de l’arrière-plan dynamisent l’ensemble. La construction est équilibrée et solide, témoignant de la formation de graveur de Luce.

On remarque dans cette toile des spécificités propres à Maximilien Luce. Sa touche tout d’abord, si elle est “divisée“, n’est pas parfaitement “calibrée”, à la différence de celle de Seurat par exemple. Le peintre adapte ainsi la taille de ses pointillés à l’importance qu’il souhaite donner à une couleur en particulier. Cela évite ainsi à l’œuvre de paraître trop systématique, calculée et froide, permettant de conserver une certaine spontanéité, parfois absente de certaines œuvres pointillistes. La palette est caractéristique du peintre à cette époque, dominée par des teintes violet et mauve, surtout dans les zones d’ombre et dans le ciel. Ces couleurs s’accommodent et se complètent aux tonalités orangées des endroits frappés par le soleil.

Venons-en maintenant à l’historique du tableau. Le catalogue raisonné réalisé par Mme Bazetoux signale deux oeuvres en rapport avec la nôtre. La première est une esquisse réalisée sur le motif, d’un format plus modeste, avec une touche plus vive et relâchée, des couleurs plus violentes. La seconde est une lithographie exposée en 1897, plus proche de l’esquisse que du tableau définitif.

Notre oeuvre serait donc vraisemblablement le tableau exposé en 1893 au 9ème Salon des Artistes Indépendants. Cela explique le format important de l’oeuvre ainsi que sa composition solide et équilibrée, mise au point d’après le travail préparatoire réalisé sur place en plein air. Lors de cette exposition, Maximilien Luce a présenté six toiles, dont un portrait et cinq paysages. Ces derniers, variés, illustrent les derniers voyages du peintre, avec une rue de Paris, deux vues de Londres et deux paysages du Midi à Saint-Tropez. Luce présentait ainsi, le moment d’une exposition, toute l’étendue de son talent, allant des atmosphères sombres et brumeuses de Londres à la lumière et la vive couleur du Midi de la France.